Des œillets pour Antigone by Charlotte Bousquet

Auteur:Charlotte Bousquet
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Scrineo
Publié: 2020-03-02T11:36:37+00:00

Enciendo una vela

En esta oscuridad…19

« J’allume une bougie dans l’obscurité… » La chanson qui passe, à la radio, m’émeut. Elle me rappelle l’époque pas si lointaine des boums, dans les locaux de l’association, mes années de chorale – et Sabine. Hier, Julien et moi, on a dormi dans la même chambre, histoire de faire des économies ; de se rassurer, aussi. Il m’a poussée à rouvrir le journal de ma sœur, avec son écriture ronde au début, brouillonne et hachée à la fin. J’ai lu quelques passages, presque malgré moi. J’en aurais chialé. La Purge. C’est ainsi qu’elle m’appelait. On se détestait, d’accord. Mais il y a un monde entre ce qu’on devine et ce qui est inscrit, noir sur blanc, sur le papier. Je me suis pris la violence de son mépris en pleine poire. J’ai failli jeter son carnet. Julien m’a convaincue de le garder, au moins pour tenter de comprendre comment tout avait dégénéré. Je suis tombée sur un passage qui m’a tétanisée. Un cauchemar, dans lequel des chevaux, échappés des ossements du sanctuaire d’Évora, la piétinaient.

Il m’a rappelé les miens. Le manège infernal, dans lequel j’essaie d’attraper la queue de Mickey, qui se révèle être la tête de ma sœur, ensanglantée. La chapelle, avec ses monceaux de squelettes et l’horrible présence, au milieu de formes mouvantes, glaciales, qui m’empêchent de rejoindre Sabine. Ou Julien. J’en frissonne.

— Ça t’embête si je remets Nirvana ? demande ce dernier.

— Pas du tout.

Il coupe la radio, enfonce une cassette dans le lecteur, se renverse sur le siège et ferme les yeux. Nous avons tous les deux passé une mauvaise nuit. Moi, à cause de mes rêves ; lui, de la maladie. Pauvre Julien ! Son teint est cireux ; des veines se dessinent sous sa peau. Dans la lumière froide de ce matin d’hiver, il est plus mal en point que je l’imaginais. Un fourgon me dépasse. Je me concentre sur la conduite. Coup d’œil dans le rétroviseur. Il y a une forme noire, au centre du miroir. Humaine. Spectrale. Effrayante. Sursaut. Je m’agrippe au volant, évite un dérapage non contrôlé. Derrière moi, une voiture klaxonne. Julien sort de sa torpeur.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Ça recommence…

— Regarde le pare-brise ! souffle-t-il.

Des cristaux de glace s’y forment. Encore. Plus rapidement, cette fois. Je n’ai que le temps de me garer sur le bas-côté. Le givre recouvre le tableau de bord, le volant, les portières. Instinctivement, on se précipite à l’extérieur, on contemple, hébétés, le véhicule blanchi par le froid. Et, autour de nous, le vent se lève. Un vent poisseux. Un vent mauvais, qui s’enroule et qui broie nos gorges, nos cœurs. Et, tout autour de nous, des ombres, des martèlements de sabots.

Pris d’une quinte de toux, Julien se plie en deux. Je l’enveloppe dans mes bras, toute peur envolée.

— Ça suffit, maintenant ! Qui que vous soyez, laissez-nous !

Les rafales sifflent et se resserrent comme des collets. Les spectres nous frôlent, distillant la terreur en chaque atome de notre être.

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